Mon premier contact avec la Roumanie a
été très positif et agréable : un week-end de repos (bien mérité !) à
Baia de Cris, après deux jours de bus. Le cadre y est paisible et le paysage
magnifique. Les meules de foin, les carrioles, les hommes qui mènent les
animaux paître aux champs donnent l'impression d'être à une autre époque. La
vie a l'air tranquille, on a envie de prendre son temps.
Rapidement, cependant, on se trouve
plongé dans un autre aspect de la Roumanie, beaucoup plus sombre. L'arrivée à
Hunedoara, où se trouve le centre pour enfants autistes et psychotiques est
saisissante : les vielles usines abandonnées, les immeubles délabrés, les
enfants dans les rues… et déjà les premières émotions fortes face à la
pauvreté ! A cela s'ajoute l'appréhension de découvrir le centre et les
enfants dont on va devoir s'occuper.
La première journée est un peu
difficile. Les enfants sont dehors, les éducateurs assis tous ensembles,
personne ne nous parle, tout le monde nous regarde, nos moindres mouvements sont
épiés. Dans ce contexte, j'ai au début du mal à aller vers les enfants, ne
sachant pas comment cela va être interprété. Mais les enfants nous
sollicitent, il est alors difficile de rester sans bouger. Finalement cette
première confrontation résumera bien les trois semaines passées dans le
centre : la majorité des éducateurs qui ne s'occupe pas des enfants, qui les
laissent dans leurs stéréotypies et surtout qui ne prennent pas notre travail
au sérieux. Après avoir passé une année à préparer ce voyage dans l'espoir
d'aider les enfants, d'apporter quelques connaissances sur l'autisme et des axes
de travail, l'échec et l'impuissance dominent mes pensées. Rapidement nous
savons que notre travail ne sera probablement pas poursuivi durant l'année. Au
fil des jours cela devient de plus en plus pénible, on se moque de nous, on
nous teste en nous laissant volontairement dans des situations compliquées. Le
pire arrive lorsqu'un soir nous entendons les cris, les hurlements de douleur
des enfants. Aux sentiments d'impuissance et de dégoût se mêlent alors ceux
de peur et d'effroi. On se pose beaucoup de questions, le moindre bruit, le plus
petit changement de comportement est tout de suite interprété, amplifié. On
ne sait plus ce qui est vrai, qui on doit croire.
Dans ce contexte, ce qui nous a fait
tenir, ce sont d'abord les enfants. On voit qu'ils sont heureux qu'on soit là,
leurs sourires ne mentent pas. Ils nous embrassent, nous remercient, sont
toujours partants pour les activités que nous proposons. Souvent on s'est
demandé à quoi ça servait d'être là ; la réponse venait toujours des
enfants.
J'ai conscience que notre action n'aura
pas changé le sort de ces enfants, que maintenant que nous sommes parties, ils
ont repris leur vie morose, mais pendant trois semaines ils auront pu faire
autre chose, sortir un peu de leurs stéréotypies, et surtout jouer.
Un autre élément m'aura permis de
rester active tout au long du séjour, c'est de voir que quand même certains
éducateurs sont intéressés par leur travail, qu'ils essaient de faire
progresser les enfants.
Le fait d'être plusieurs à vivre cette
expérience a été tout aussi positif. Nous formions un groupe uni à
Hunedoara, c'était important pour pouvoir échanger, se remonter le moral. Le
rire nous aura beaucoup aidés pendant ce séjour. En dernier lieu, les
week-ends à Baia de Cris, lors desquels nous étions coupées du centre, auront
été précieux, notamment les temps de parole avec Renata et Francine. Je tiens
à les remercier tout particulièrement pour leur aide, leurs conseils, mais
surtout pour leur écoute attentive.
Ce mois passé ici m'aura beaucoup
apporté. J'ai découvert un nouveau pays, rencontré des personnes touchantes
avec des vécus forts. Je repars bientôt en France avec seulement deux regrets
: laisser les enfants si attachants du centre dans ces conditions, et ne pas
avoir pu visiter un peu plus la Roumanie
En espérant un jour, revenir ici…
Aurélie.