Une cigogne est passée au
dessus de moi quand j'ai marché ce soir avant le retrait du jour... Un
petit cheval pressé tirait sa carriole mené par un petit homme à
moustache et à chapeau, regard fixe et lointain, pensées vespérales
vagues et indéchiffrables derrière son front cuivré. Le petit cheval
alerte conduisait son maître le long du pré fauché égayé de petites
meules de foin dorées au miel chaud du couchant. La minuscule épicerie
était encore ouverte quand je suis repassée dans le village. Il n'y
avait plus que quelques enfants qui finissaient de jouer dans la rue et
des hommes qui s'envoyaient bières sur bières à la terrasse des petits
cafés de la place. Le tonnerre grondait au loin mais il ne pleuvrait
peut-être pas.
Scènes paisibles et simples de la
vie d'un petit village en Roumanie. Emotions complexes et denses qui me
ramènent encore et toujours en ce pays. Un pays dont la beauté n'est
sans doute point fatale mais dont le charme ensorcelant a capturé nombre
de ces voyageurs venus ici un jour pour servir une bonne cause, le plus
souvent.
Venu ici pour donner, le voyageur
épris de ce pays repart les mains pleines et le cœur empli de cet
indéfinissable exaltation d'émotions qui se disputent sur le grand
nuancier des joies et des tristesses en majeur ou en mineur.
Peu d'avoir pour de nombreuses personnes, ici.
Peut-être un peu plus d'être et de faire en conséquence. Comme ailleurs,
l'on est ce qu'on est et l'on fait ce qu'on fait, pas toujours ce qu'il
y a de mieux, mais du moins le mystère humain dispose-t-il encore d'un
peu d'espace là où l'abondance ne comble pas encore tous les vides et
toutes les interrogations. L'on n'est peut-être pas sûr ici que le temps
vous appartient et qu'il est possible de se l'approprier pour
s'organiser et prospérer. C'est pour sûr très pénalisant pour l'économie
et sans doute une conséquence de toutes ces décennies où ce temps vous
était confisqué. C'est peut-être aussi un atout de se chercher encore,
quand le monde alentour a le nez dans le guidon pour foncer droit dans
le mur. Si nous y allons, la Roumanie ira aussi mais peut-être que sa
recherche constante de spiritualité l'aidera à supporter ce pire qui est
peut-être à venir pour l'ensemble de la planète. Savoir? Savoir pourquoi
je dors comme une pierre ici...
Je
me lève, il a plu. Un petit chien affreux et plein de puces pleure sur
le paillasson quand je sors pour aller prendre ma douche. Il a perdu ses
amis les scouts sur le sommeil desquels il avait pris l'habitude de
veiller la nuit, dehors devant le dortoir. Je lui parle et il me regarde
de ses yeux crottés et plein d'espoir. Je ne me baisse pas pour le
caresser. Je ne suis guère amatrice de puces et Francine détesterait que
je fidélise cet animal de la rue. Elle a bien assez de tous ses autres
pensionnaires.
Ce matin, les cigognes se sont
rassemblées sur un grand champ pelé... Il a plu et la température a bien
fléchi. Les cigognes vont quitter la Roumanie et partir vers l'ouest
mais elles reviendront l'année prochaine.
Des Roumains
partent et ne reviennent pas, ou alors très rarement. D'autres partent
pour quelques temps puis reviennent pour longtemps.
Ce
matin, nous avons accompagné la jeune visiteuse de Francine au bus de
Brad. Elle est venue passer la soirée avec nous hier et s'en va
maintenant passer quelques jours à Budapest. Il est tôt.
Nous allons prendre le café chez Virgil, le jeune curé
de Brad rentré hier d'Allemagne. Il y a remplacé un curé cet été pour
améliorer un peu son ordinaire. Ce jeune homme nous parle de sa joie de
revenir dans son pays.
A l'ouest, il a travaillé pour quatre sous au
regard des avantages qui sont concédés aux prêtres allemands. Il s'est
senti méprisé,
Je suis allée
à sa messe. L'approche des religions et des cultes est un bon biais je
crois, pour connaître quelques facettes de la Roumanie et ici, un petit
coup de messe de temps en temps est pour moi une sorte de yoga qui me
donne de l'espace pour réfléchir. Chacun sa messe.
Monique.
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