Demain nous partons. Nous
devons aujourd'hui encore rencontrer trois familles. Francine doit
leur remettre la somme mensuelle qu'elles reçoivent de l'association.
Je choisis de vous détailler la
situation de Mr et Mme R. car en cette fin de séjour, je crois pouvoir
dire que c'est celle qui m'a le plus retournée, voire révoltée, celle
aussi qui inspire à mon avis le plus de réflexion sur le peu de cas que
le gouvernement roumain semble porter à sa population indignement
abandonnée.
La description détaillée de certaines tracasseries
dont des personnes très malades et très pauvres doivent faire les frais,
vous en dira long sur l'incurie de l'état roumain en matière de
protection médico-sociale.
Car, je veux bien admettre que l'argent fasse
cruellement défaut en haut lieu, (encore qu'il semblerait que la
communauté européenne en ait dispensé énormément en faveur de la
Roumanie pour résorber certains problèmes... Comment faire la lumière
sur ce que cet argent est devenu ?) mais, que l'on complique à l'extrême
un système déjà très insuffisant de manière à ce qu'il devienne
inaccessible aux plus faibles me paraît criminel.
Alors, Monsieur le Président de
La Roumanie, avez vous seulement une toute petite idée de ce cauchemar
éveillé que je vais vous conter ?
L'immeuble à la façade lépreuse
que nous abordons ne laisse rien présager de très joyeux... En bas, le
jeune R., l'un des 3 enfants de la famille, est livré au monde des
désœuvrés, proie facile de toutes les dérives puisqu'il est handicapé
donc vulnérable...
Dans le hall, est
affichée une liste des occupants de l'immeuble, et, surlignés au feutre
vert fluo, ceux qui n'ont pas payé leurs charges.
(vous allez voir avec ce qui
suit que l'on est pour la paix entre voisins en procédant de la sorte
!).
Au
nombre de ces charges le chauffage collectif... Le bruit court que cet
hiver les blocs de la cité n'en recevront plus à cause des nombreux
impayés...
(si vous circulez en Roumanie, vous verrez souvent
à l'approche d'une ville, d'énormes tuyaux métalliques un peu cabossés
cheminant le long de la chaussée, et enjambant parfois la route comme de
gros serpents méchants : c'est de l'eau chaude qui arrive pour chauffer
les immeubles... Ce système est très vieux, il date d'avant la
révolution).
Chacun devra donc se débrouiller. Les plus avisés
et surtout les moins pauvres ont déjà installé leur "soba",(poêle à bois
en céramique), les autres s'apprêtent à grelotter (n'oubliez pas que
l'hiver n'est pas une plaisanterie dans ce pays).
De la même manière, l'on peut
voir que certains propriétaires isolent leur appartement par l'extérieur
quand d'autres du même immeuble ne le font pas : cela fait une sorte de
patchwork sur les murs (pas besoin d'architectes des bâtiment de
Roumanie en ces endroits car je ne crois pas qu'on parvienne à en faire
des chef d'œuvre). A
noter que beaucoup de personnes mêmes très très pauvres sont
propriétaires de leur appartement, mais que certaines risquent la saisie
de cette seule possession, car elles n'ont pu depuis plusieurs années
payer les taxes (système de taxes similaire au nôtres).
La famille R. fait évidemment
partie des personnes qui s'apprêtent à grelotter... J'y viens, car nous
voici arrivées au deuxième étage à la porte de l'enfer...
L'appartement, sans surprise,
est petit. Une cuisine minuscule, et deux petites pièces abritent cinq
personnes, un couple avec trois enfants dont deux sont handicapés (22
ans, 26 ans et environ 15 ans).
Mme R. nous reçoit dans un
séjour très pauvrement meublé... C'est une femme très maigre, visage
usé, dentition malade, qui n'en peut plus de douleurs dorsales...Elle
nous parle en chuchotant et va même fermer la fenêtre car elle a
l'impression que les voisins vont écouter notre conversation (réalité ou
traumatisme ancien d'un régime caduque ?). Mme R. n'a semble-t-il plus
droit à une couverture sociale. Elle ne peut donc pas se soigner.
Pourtant, elle est la tierce personne de son mari et perçoit à ce titre
une petite allocation de 200 lei (45 euros).
A force de rencontrer des
personnes qui n'accèdent pas à leurs droits, je ne peux m'empêcher de
penser que ce pays manque aussi cruellement de travailleurs sociaux pour
les y aider... Il n'y en a pour ainsi dire pas, et ceux qui existent ont
des missions très précises d'enquêteurs ou d'évaluateurs mais
certainement pas d'aide à l'accès aux droits, du moins pas là où je suis
passée...
Monsieur qui était à la cuisine en train de
préparer des légumes avec sa fille handicapée nous rejoint. Privé de ses
deux jambes, car il a été amputé à la suite d'un accident du travail, il
souffre aussi d'un diabète très sévère et d'obésité. Il se trouve donc
confiné dans cet appartement du 2ème étage...
Il a droit à une pension d'accidenté du travail
dont je n'ai pas noté le montant, mais, qui vous vous en doutez est
absolument insignifiante, et celui d'attendre une solution pour que son
traitement pour le diabète puisse être renouvelé....
Voici 3 mois qu'il est sans médicament et que
Francine, également diabétique, ayant décrété qu'elle n'avait pas besoin
de celui qu'elle doit prendre en milieu de journée, partage
généreusement son traitement avec lui. Pourquoi ? Je vais vous expliquer
ce que l'on m'a relaté.
Pour renouveler un traitement pour le diabète, il
faut d'abord trouver une assistante médicale (infirmière) qui accepte de
se déplacer à domicile et avoir l'argent pour la payer... Elle vous
prélèvera un peu de sang pour qu'une analyse soit faite en laboratoire
(je ne sais pas si c'est gratuit). Une fois en possession des résultats
il vous faudra ensuite programmer une visite chez le médecin (la visite
qui n'est pas programmée n'est pas prise en charge) pour qu'il vous
oriente vers un hôpital qui se trouve à une cinquantaine de kilomètres,
seul lieu habilité à vous procurer le traitement contre le diabète...
Lorsque vous aurez satisfait à ces obligations et
que vous aurez réuni la somme d'argent pour prendre le train ou le bus,
vous prendrez la précaution de trouver un horaire (s'il existe) qui vous
fasse arriver avant l'aube (on me parle de 5 heures du matin). Dans le
cas contraire, vous risquez fort de ne pas être dans les 20 premiers
patients qui attendront ce jour là, et d'être obligé de revenir le
lendemain... Voici donc le parcours du combattant, alors qu'il existe
quand même des dispensaires et une clinique sur place...
On cherche en
vain une logique à ce genre de tracasseries. Il y en a d'autres et il y
en a eu d'autres : Bouclette m'a ainsi raconté qu'il fut un temps pas
très lointain, où si l'on avait besoin d'un traitement avant le 5 du
mois, il était gratuit, au delà il ne l'était plus...
En attendant Monsieur R. n'est
pas soigné. Il semble pourtant qu'il ait enfin satisfait aux trois
premières étapes car son épouse a demandé à Francine un peu plus
d'argent en vue du voyage jusqu'à l'hôpital de Deva.
Mais trois
mois sont si vite passés. Représentez vous un soulagement fugace comme
une étoile filante et de nouveau le compte à rebours jusqu'à la fin des
trois mois suivants et de nouveau le casse-tête : vraiment idéal pour
équilibrer un diabète ! Sans compter les plaies à soigner comme on peut,
car je l'ai déjà dit, ici pas d'infirmière libérale à l'horizon.
Francine m'explique que de la
même manière qu'en France, les hôpitaux locaux en Roumanie
disparaissent. ... De nombreux médecins ont de plus quitté le pays pour
se rendre à l'étranger ce qui crée une pénurie... Cela est vrai sauf
qu'en France, l'on peut encore consulter un généraliste à proximité pour
renouveler un traitement et qu'une personne dans l'état de Monsieur R.
aura la chance d'obtenir un rendez-vous et un bon de transport s'il a
besoin d'une consultation spécialisé.
N'oublions pas au milieu de tous
ces problèmes le plus jeune garçon de la famille, qui, ouf, n'est pas
handicapé et pourra suivre une scolarité normale. Francine attribue une
aide mensuelle à la famille mais souhaiterait que Gaby puisse bénéficier
d'un parrainage. Avis aux amateurs de générosité (on n'est pas obligé de
donner 100 euros : plusieurs personnes peuvent parrainer le même jeune).
C'est épuisant de raconter des
histoires pareilles. Je vous souhaite donc une bonne soirée et une bonne
nuit. (Je ne crois pas que je vais envoyer cette lettre au président. En
plus je n'ai pas son mail...)
Monique
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